Madagascar : Répressions violentes et disproportionnées de manifestations pacifiques, inaction des forces de l’ordre face aux pillages

DÉCLARATION

Nous, l’ONG Tolotsoa, ses membres ainsi que son équipe exécutive, exprimons notre profonde consternation et indignation face aux traitements violents et méprisants infligés, tout au long de la journée du 25 septembre, à de jeunes citoyennes et citoyens malgaches venus manifester pacifiquement sur la place publique d’Ambohijatovo. Ces jeunes expriment leur insatisfaction et leur exaspération face à la qualité de la fourniture d’électricité et d’eau à Madagascar, sujet de nombreuses annonces et promesses de résolutions non tenues ces dernières années. La violence appelant la violence, la soirée et la nuit du 25 septembre 2025 ont été marquées par une ambiance de peur et de terreur dans l’île, et tout particulièrement dans la capitale. Des actes de pillages et de vandalisme ont eu lieu, causant des dommages dont il sera difficile de se relever, tant pour les civils que pour les entreprises. L’ordre et le calme ne sont pas encore pleinement restaurés au moment de ce communiqué et l’incertitude hante la population quant à la suite des événements sur l’ensemble du territoire.

  • Des manifestations pacifiques violemment réprimées

Né d’un contexte marqué par des défaillances structurelles persistantes non résolues malgré d’innombrables annonces et promesses, un mouvement citoyen avait prévu de se rassembler pacifiquement le 25 septembre 2025 pour dénoncer les coupures d’eau et d’électricité, qui asphyxient la population depuis des années et compromettent ses conditions de vie.

Pourtant, cette mobilisation a été réprimée avec une extrême violence, en particulier par la Gendarmerie nationale et le GSIS :

  • des nourrissons sont décédés d’asphyxie provoqués par des tirs indiscriminés et inconsidérés de bombes à gaz lacrymogènes,

  • des bombes lacrymogènes ont été lancées à proximité d’écoles remplies d’élèves et d’habitations privées, exposant directement des enfants,

  • des lycéens, cherchant à rejoindre leurs foyers, se sont retrouvés pris dans les dispositifs sécuritaires mis en place, les exposant à la violence,

  • des hôpitaux, et des formations de santé, ont été touchés par ces attaques, compromettant la fournitures de soins à des patients,

  • de jeunes citoyennes et citoyens venus exercer leur droit à l’expression libre et de réunion pacifique, ont été poursuivis et isolés par les éléments en uniforme, victimes d’arrestations arbitraires pour les uns et de brutalités et voies de faits pour les autres,
  • une foule réclamant dignité, eau et électricité a été dispersée brutalement à coups de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc, entraînant de de graves blessures physiques et séquelles psychologiques, voire pire,
  • Des journalistes dans l’exercice de leur mission ont été violentés et sommés de supprimer des produits médiatiques compromettant l’accès à l’information du public et la liberté de la presse,
  • Sur les réseaux sociaux, plusieurs cas d’intimidations et de harcèlements ont été signalés et contribuent à un climat lourd de tensions et de terreur.


Ces faits constituent de graves violations de droits fondamentaux garantis :

  • au plan national, par la Constitution de Madagascar (2010) — notamment les articles 9 (protection contre les arrestations arbitraires), 10 (libertés d’opinion, d’expression, de réunion et d’association) et 17 (respect de l’intégrité et de la dignité de la personne humaine) ;

  • au plan régional et continental, par la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, notamment les articles 9 (droit à l’information) et 11 (droit de réunion pacifique) ; par la Charte des Droits Sociaux Fondamentaux de la SADC

  • au plan international, par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (articles 7,9, 21 et 22), ainsi que par les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l’usage des armes à feu, la Déclaration de Bamako par ailleurs.

De plus, en droit administratif malgache, l’État est tenu de protéger l’ordre public tout en respectant les libertés fondamentales, et les autorités de police doivent agir selon le principe de proportionnalité dans l’usage de la force.

  • Inaction des forces de l’ordre face aux actes de vandalisme

La nuit du 25 septembre a été marquée par une absence manifeste de l’État dans sa mission première de protection des citoyens et de leurs biens. Alors que les forces de l’ordre tiraient sur des manifestants pacifiques munis de pancartes, elles étaient totalement absentes face aux pillages, destructions et incendies dans plusieurs quartiers.

Cette asymétrie du dispositif – répression violente des manifestants d’un côté, inaction volontaire face aux pilleurs de l’autre – a laissé des entrepreneurs, des employés et des familles innocentes abandonnés à eux-mêmes, exposés à la violence jusque tard dans la nuit et encore aujourd’hui. Les vidéos de citoyens attestent cette défaillance, qui prête à une complicité passive.

Cette défaillance constitue un manquement grave à la responsabilité de l’État et des forces de l’ordre, tenus par la Constitution et les engagements internationaux de Madagascar de garantir la sécurité des personnes et de leurs biens.

  • Une culpabilisation de la jeunesse et des tentatives malsaines de récupérations politiques inacceptables

Le mouvement social Gen Z Madagascar est né d’une aspiration, authentique et spontanée, à une amélioration des conditions de vie d’une jeunesse et d’une population excédées par la précarité croissante, l’appauvrissement, la corruption au sommet de l’État et l’insécurité rampante. Ce mouvement, citoyen, pacifique et non partisan, a tout notre respect et mérite d’être salué pour être aujourd’hui le témoin de l’engagement des jeunes et d’une demande sincère de changements et de résultats lancée à tous les responsables publics à différents niveaux.

Pourtant, cette mobilisation fait aujourd’hui de persécutions et de tentatives d’instrumentalisation :

  • de la part du pouvoir, qui la présente comme responsable des actes de vandalisme et comme une menace à l’ordre public, pour justifier une répression disproportionnée et indiscriminée ;

  • de la part de certains acteurs de l’opposition, qui cherchent à renverser l’ordre constitutionnel au détriment des revendications sociales.

Nous dénonçons avec fermeté, ces agissements qui confisquent la voix des citoyennes et citoyens, dénaturent une lutte légitime et fragilisent un espace civique déjà rétréci.

  • Conséquences humaines et sociales

Ces événements ont provoqué :

  • des blessures graves parmi les manifestants, y compris des mineurs ;

  • des pertes humaines plongeant des familles dans le deuil ;

  • des traumatismes psychologiques pour des milliers de citoyens exposés à la violence et l’insécurité ;

  • des pertes économiques substantielles pour des entreprises, commerçants et salariés victimes de casse, pillage ou incendie.

Ces conséquences pèsent particulièrement sur les catégories les plus vulnérables : enfants, jeunes, patients hospitalisés, mais aussi sur l’ensemble de la population dont les droits fondamentaux se retrouvent encore plus en péril. Elles rappellent que les dirigeants élus et nommés sont censés servir le peuple et garantir l’intérêt général, et non contribuer à la mise en danger de leur propre population.

Nos demandes

Nous demandons de façon solennelle :

  1. la libération immédiate de toutes les personnes arrêtées lors de cette mobilisation pacifique ;

  2. des enquêtes indépendantes et impartiales sur les violences perpétrées et des sanctions sévères quant à la négligence de certains responsables face aux actes de pillage et de vandalismes ;

  3. la protection effective des citoyens, familles et biens, conformément à la Constitution et aux engagements internationaux de Madagascar ;

  4. le respect du droit fondamental des citoyens malgaches à la libre expression et de réunion pacifique dans un climat apaisé et exempt de discours haines et d’incitations à la violence ;

  5. des poursuites et des sanctions judiciaires contre les casseurs et profiteurs ainsi que le dédommagement des victimes.

Nous exhortons

Les jeunes et la population à continuer de porter leurs revendications légitimes sans céder à la violence et dans le respect des droits d’autrui

Les responsables étatiques à garantir les conditions propices au dialogue et l’apaisement dans la recherche de solutions durables aux revendications légitimes de la population, l’usage excessif de la force étant à proscrire pour l’intérêt de tous.

La communauté internationale et les partenaires de Madagascar à accorder une attention particulière à la situation qui prévaut actuellement à Madagascar ; à condamner avec la plus grande fermeté les répressions violentes et l’usage excessif de la force envers la population civile ; à témoigner leur solidarité avec le peuple malgache dans la défense de leurs droits à la sécurité, à la justice et à la dignité.

Le peuple malgache ne réclame que l’essentiel : vivre en sécurité, accéder à l’eau et à l’électricité, s’exprimer librement sans crainte de représailles et d’intimidations. La jeunesse et les citoyens resteront mobilisés et déterminés, tout en appelant les partenaires internationaux à respecter leur devoir de vigilance et de solidarité.

Aidez-nous à faire entendre cette voix — qu’elle ne soit pas étouffée par la peur, la violence ou les manœuvres politiciennes.

Fait à Antananarivo, le 26 septembre 2025